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KaMaïa au FarWest
23 novembre 2011

Irrationnelle stupidité

Aujourd'hui, c'est l'anniversaire de ma grand-mère, elle a 87 ans.

J'ai mis au courrier une jolie carte ainsi que des photos de mes enfants qu'elle appelle ses petitous.

Mamie est plutôt en bonne forme, elle a cessé de conduire et vendu sa voiture il y a seulement 4 ans. Elle a la chance de vivre en plein Grenoble, proche des commerces et des transports en commun, en compagnie de sa soeur. Deux vielles dames charmantes qui s'entraident et sont autonomes bien qu'ayant largement dépassé les huit décennies. Elles mènent leur vie tranquillement, à leur rythme, dans leur appartement.

Je suis allée les voir en février de cette année, lors d'un pèlerinage personnel et solitaire en Dauphiné. J'ai retrouvé l'appartement où j'ai passé tant de vacances adolescente inchangé, mis à part les innombrables photos qui tapissent les murs, les vitrines du buffet ou le dessus de la commode.

Dans un grand cadre, une photo en noir et blanc de feu mon grand-père décédé à 32 ans du HNPCC (le 1er de la lignée oncogénétique, c'est lui) la laissant veuve à 24 ans, avec un bébé de 10 mois qui fit ses premiers pas le jour des obsèques de son papa.
Plus loin presque le même cadre, le même format, et quasiment le même visage : celui de mon père à 20 ans.
Et juste à côté, la photo en couleurs cette fois-ci de Frérot au même âge, troublante de ressemblance également.
Enfin mon CF1, moins ressemblant mais néanmoins indéniablement sorti du même moule génétique.
La mise en abîme de cette lignée d'hommes montre une incroyable similitude, on dirait presque un clônage.

Du côté des femmes, ce n'est pas mal non plus. Quand je me croise dans un miroir, j'ai parfois l'impression fugace de reconnaitre la jeune femme souriante de certaines photos de sa jeunesse, ou même encore de voir sa mère, mon arrière-grand-mère, donc. A une syllabe près, je porte le même prénom qu'elle et que sa propre grand-mère paternelle. Une lignée de femmes fortes et courageuses qui ont élevé leurs enfants seules et qui ont planté leurs banderilles face aux défis de leur vie, foudroyant de leur regard aceituna les fâcheux qui osaient se mettre en travers de leur chemin.

Un jour, le fâcheux, ce fût moi.
J'avais osé ne pas la prévenir que mon père, son fils, était hospitalisé pour un cancer du côlon. Il m'avait interdit de lui en parler pour ne pas l'inquiéter, pensant la prévenir a posteriori, une fois sorti de l'hôpital, une fois le danger écarté. Alors j'ai obéi et je n'ai rien dit. Sauf qu'il y a eu des complications et que les 2 semaines d'hospitalisation se sont finalement transformées en 6 mois. Au bout d'un mois, Papa m'a dit de l'appeler pour la mettre au courant.
Oh là là ce courroux de n'avoir pas su dans les temps !!
Elle m'a fait la gueule pendant 3 ans ! Oui oui, 3 années à me snober, m'ignorer ou me parler par monosyllabes à chaque fois qu'on se voyait, ne se déridant qu'une fois à l'occasion de mon mariage. C'est finalement la naissance de CF1, son premier arrière-petit-enfant (et la césarienne qui lui rappelait la sienne) qui fera tomber cette chape de colère et de ressentiment.
Plus tard, nous en avons reparlé et elle a pu exprimer les reproches qu'elle avait gardé intacts bien au chaud :
- Tu aurais dû m'en parler, c'est mon fils. J'aurais dû être mise au courant
- Mais Mamie, il m'avait interdit de te le dire. J'aurais dû désobéir ? Alors qu'il était malade ?
- Non bien sûr, il fallait lui obéir.
- Ben tu vois bien !
- Oui oui. Mais quand même, tu aurais du m'en parler.
- ... (soupir)

En février dernier, durant ces quelques heures passées avec elle, elle a ressorti ses albums photo (faut croire que l'amour de la photo -devenu professionnel chez moi- est génétique aussi) et m'a fait remonter le temps bien avant ma naissance. Le mariage de mes arrières-grands-parents, au sud de l'Espagne, mon arrière-grand-père à la mine là-bas, où il avait commencé à travailler à l'âge de 8 ans parce qu'il fallait bien ramener quelques sous puisque le père était mort (là, je regarde mon CF3 du même âge en imaginant que c'est lui qui a le dos brûlé par le port des sacs et mon coeur se serre), l'émigration vers la terre promise France où il y avait aussi des mines où on pourrait travailler, l'installation sur le plateau matheysin où ils replanteront leurs racines et où naitront leurs sept enfants, la fratrie au complet, les mariages des uns et des autres et notamment le sien, la jolie carte de St-Valentin par laquelle mon grand-père lui avouait ses sentiments est soigneusement collée sur l'une des pages, la  tribu des cousins de mon père, des anecdotes et des histoires de ce temps-là.

J'ai replongé dans cette pensine avec bonheur en ayant le sentiment que Mamie mettait dans mes mains cette histoire pour qu'un jour, moi aussi, je la transmette. Dépositaire de mémoire.
Je me suis également remémorée tous les souvenirs heureux de mon enfance qu'elle a enchantée en me racontant des histoires, en m'apprenant des chansons, en s'occupant de moi.

Eh oui, chanceuse que je suis (à l'inverse de mes CFs), j'ai eu une vraie grand-mère d'image d'Epinal.
De celles qui vous mettent les larmes aux yeux quand on s'en rappelle devenu grand. De celles qui vous font la cuisine et dont on se remémore avec gourmandise le petit gout inimitable et madeleine-proustien de leur spécialité culinaire. De celles qui vous tricotent des pulls à torsades et des vestes en grosse laine. De celles qui vous réprimandent parce que vous avez encore oublié de mettre votre caraco pour sortir. De celles qui vous chantent des berceuses dans leur langue maternelle (berceuses qui vous remonteront aux lèvres quand, jeune maman, vous aurez vous-même votre bébé dans les bras. Pour ma part, j'ai oublié tout mon espagnol scolaire, mais ses berceuses ibériques sont ancrées à jamais dans mon inconscient).  De celles qui vous apprennent à fabriquer un kaléidoscope avec deux pages de magazine, une poupée avec un coquelicot et un sifflet avec un noyau d'abricot. De celles avec qui on chante des chansons dans la voiture pour rendre les trajets moins long.
De celles qui s'inquiètent toujours pour vous même si vous approchez la quarantaine : il y a 2 ans, nous nous étions retrouvés à Paris chez mon père, moi pour une pige et elle pour des vacances. J'ai ramené Soeurette un soir chez elle et après, je suis allée faire une balade en voiture dans la Capitale me frotter un peu à mes souvenirs d'enfance et d'adolescence alors que mon couple à mon grand désespoir sombrait corps et biens et que je savais que ce n'était plus qu'une question de semaines. Je n'ai pas prévenu que je rentrais tard puisque je craignais de la réveiller et vers 2 h du matin mon portable a sonné :
- Mais où tu es ?? (vous rajoutez l'accent Dauphinois pour les ceusses qui connaissent)
- Dans Paris Mamie, j'avais envie de me balader un peu. C'est beau Paris la nuit tu sais
- Malheur ! Mais c'est pas vrai !! Ah là là cette gosse, elle nous aura tout fait !!
- Dis donc Mamie, je suis grande, hein, j'approche des 40 ans. Si je veux aller me balader en pleine nuit dans Paris, je le fais ! Et si je pense que ce n'est pas judicieux de te réveiller pour t'en prévenir, j'ai le droit aussi. (Ah mais ! N'empêche, une fraction de seconde, je me suis sentie aussi coupable et contrite que l'adolescente qui leur avait fait toutes les bêtises du monde)(ça se voit qu'elle n'élève pas mes CFs, j'étais une innocente agnelle môa, à côté d'eux !)
- Ah... heu... oui bon mais je m'inquiète. Ne tarde pas trop.

Une vraie grand-mère comme dans les histoires, quoi.

Je me suis frottée à la douceur des souvenirs et puis je suis repartie. J'ai repris ma voiture et j'ai retraversé la France pour retourner au FarWest. Heureuse, vraiment, de ces moments partagés. J'ai appelé pour lui dire que j'étais bien arrivée et depuis, j'ai du téléphoner 3 ou 4 fois.

Eh oui, je suis une petite-fille bien ingrate, qui appelle quoi... tous les 2 mois environ.

A dire vrai, j'y pense quasiment chaque semaine, mais que voulez-vous, il y a eu une époque, il y a 15 ans où j'appelais très régulièrement mon grand-père (maternel). Je le faisais à l'heure du déjeuner pendant ma pause et je le réveillais immanquablement pendant Derrick.
Et puis un jour, je n'ai plus eu personne à appeler et ça a été très dur.

Alors ma Mamie, je préfère ne pas l'appeler plutôt que de devoir un jour former le numéro avant même de me souvenir que la ligne est désormais résiliée. Je me dis que tant que je n'appelle pas, elle reste vivante.

Oui, je sais, c'est nul.
D'autant qu'évidemment elle ne se doute absolument pas pourquoi sa villaine petite-fille est si avare en nouvelles de ses petitous.

Irrationnelle stupidité

quatre_generations
4 générations - 1977 - La Mure

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Commentaires
K
@ Mama Lala : Je crois que tu fais le bon choix. Mieux vaut ne pas avoir le regret de ne pas l'avoir fait quand ! Je t'embrasse<br /> <br /> @ Lise : Eh non pas simple. Mais j'ai téléphoné aussi :) et j'ai dit oralement à peu près ce que j'ai posé ici. Elle était contente de m'entendre. J'ai bien fait.
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L
on se protège comme on peut, et parfois on oublie de profiter de l'instant :-/ pfuuuit, pas simple.<br /> Bises<br /> Lise
Répondre
M
Ça serait mentir de te dire que je n'ai pas les larmes aux yeux en te lisant. Mon irrationnelle stupidité à moi, je la vis en ayant choisi de vivre à 300 mètres d'elle, ... d'eux. Pour que justement je sois là, quand! Que je n'ai pas à mettre ma vie en parenthèse pour venir dans le berceau de mes racines pour un dernier au revoir et laisser le survivant au hasard. Je "vole" chaque instant à vivre ensemble, j'emmagasine pour garder en mémoire tout ces instants que tu écris. Ma grand-mère a elle aussi ces qualités de grand-mère (trop) présente, nos échanges sont parfois houleux et beaucoup ne comprennent pas notre relation. Mais je reste à leurs côtés, au dépens de ma propre vie familiale peut-être, mais je me dois de (les) (sur)veiller. Irrationnelle stupidité alors? Ou peur de ne plus recevoir leur amour (même de loin?) et de vivre sans eux?
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